Duplex : les tympans voyageurs !
Ce 17 février, rendez-vous était pris dans notre salle pour le concert de Duplex. Fondé et imagin...
A l’occasion de la représentation de « La vraie vie » à la MCFA, nous sommes allés à la rencontre d’Adeline Dieudonné, autrice du roman à succès du même nom mais également comédienne dans la mise en scène de Georges Lini.
Tu adaptes sur scène ton livre « La vraie vie ». Comment met-on scène ses propres mots ?
C’est Georges Lini qui assure la mise en scène, le travail d’adaptation. Sur ce projet, je me suis donc complètement mise à son service. A la base, c’était lui qui devait simplement mettre en scène la pièce puis il m’a proposé de jouer. Je m’inscris dans le projet en tant que comédienne, je n’interviens pas en tant qu’autrice sur le plateau. Je ne suis pas intervenue dans l’adaptation. Heureusement, sa vision était en parfaite adéquation avec la mienne, je ne me suis pas sentie trahie ! Pour moi c’était émouvant de passer d’autrice à comédienne parce que c’est le même travail quelque part, je transmets cette histoire. La frustration en tant qu’autrice, c’est que c’est un métier solitaire, je ne suis pas là quand les gens reçoivent mon histoire. C’est tellement chouette de pouvoir la raconter en vrai et de partager cette émotion avec le public. C’est chaque fois un grand moment de plaisir !
En tant qu’autrice, comment se sent-on quand on voit son œuvre réadaptée ?
C’est extrêmement agréable et très émouvant ! C’est un bonheur immense. Il peut arriver que ce soit mal fait, c’est déjà arrivé que quelqu’un ne dise pas bien mon texte. Je me découvre plus mère-poule que ce que je pensais vis-à-vis de mes textes parce que c’est vrai que quand ils sont trahis ou abîmés d’une façon ou d’une autre, c’est assez désagréable. Mais quand c’est bien fait comme dans ce cas-ci, c’est un risque à prendre.
Tu es autrice mais tu as fait des études de comédienne. Tu avais dit chez Ruquier sur le ton de la rigolade que tu étais une comédienne ratée, est-ce que jouer ton propre livre sur scène est une façon de prendre ta revanche ?
Ce n’est pas une revanche. Quand Georges me l’a proposé, c’était plutôt un grand bonheur de me dire que j’allais pouvoir faire ce dont j’ai toujours rêvé ! J’étais plus qu’une comédienne ratée, j’étais une comédienne frustrée ; chaque fois que j’allais au théâtre et que je voyais les comédiens, je me disais « qu’est-ce que j’aurais envie d’être avec eux ! » Donc là, c’est une façon de profiter de quelque chose dont j’avais été privée. Quand Georges m’a parlé du projet, je jouais déjà « Bonobo Moussaka » (seul en scène écrit et joué par Adeline Dieudonné en 2017 ; ndlr) et c’est ça qui est amusant : j’ai réussi à accéder à la scène en écrivant et donc en ayant quelque chose à dire, à défendre. Probablement que quand j’ai fait mes études de comédienne à 20 ans, je les ai faites pour les mauvaises raisons. J’avais envie de devenir une actrice célèbre, qu’on me regarde, d’être au centre de l’attention mais je pense que ce n’est pas un bon moteur pour s’engager dans cette carrière. Il faut avoir des choses à défendre, quelque chose de viscéral, de plus profond. Je trouve ça assez équilibré que ça arrive de cette façon-là.
Après la représentation scolaire, un élève a posé une question concernant la scène de viol dans « La vraie vie » et tu lui as répondu que tu ne l’aurais peut-être pas écrite de la même manière aujourd’hui. Est-ce que l’état du monde influence ta façon d’écrire ou est-ce que tu assumerais encore complètement ce que tu as écrit il y a 4-5 ans ?
Bien sûr que ça a une influence sur ma façon d’écrire, pour un mieux je pense. C’est vrai que je fais plus attention et je ne considère pas ça comme de l’autocensure. Je sais que j’ai eu une éducation raciste, misogyne, homophobe. C’est générationnel et ce n’est pas contre mes parents, attention ! Mais partant de ce constat-là, je sais que dans ce que j’écris, je peux véhiculer des clichés et ça, j’y fais attention. J’essaie de ne pas faire attention à ça quand j’écris mais dans la relecture, j’aurai un regard critique sur mon écriture. Je m’en voudrais et je serais vraiment triste qu’on vienne me dire à posteriori que j’ai véhiculé telle ou telle chose. Ça risque de m’arriver parce que je ne suis pas encore totalement déconstruite de tout mais j’y fais attention. J’ai parfois des peurs aussi parce que j’ai envie de raconter tel truc mais je risque de me faire attraper par des féministes, des antiracistes… et de me faire taper sur les doigts. C’est là que je commence à comprendre que c’est impossible d’être d’accord avec tout le monde et d’avoir une écriture pure. Dès le moment où on raconte quelque chose, on va heurter des sensibilités.
C’est un positionnement dès le moment où on écrit quelque chose…
Voilà ! Je suis prête à assumer certaines critiques parce qu’il y a des gens avec qui je ne suis pas d’accord parce que je trouve qu’à certains endroits il y a une forme de moralisme qui peut me déranger. Cette scène, je l’assume complètement et si aujourd’hui on venait me taper sur les doigts en me disant qu’il faut réécrire le livre, je le défendrais à fond parce que je trouve que cette scène est bien écrite, parce qu’elle est à la première personne du singulier, c’est le point de vue de la narratrice… Je ne cautionne absolument pas le viol. Je ne suis pas là pour porter un regard moral sur mes personnages et sur ce qu’ils font. Les personnages sont amoraux et je pense qu’il faut continuer à écrire des histoires avec ce genre de personnages sinon on va s’emmerder. Par contre, tenir compte du fait qu’on vit dans un monde dans lequel il y a des groupes sociaux qui exercent une domination sur d’autres groupes sociaux et que les représentations culturelles ont une véritable responsabilité là-dedans, c’est une évidence aussi. Ne pas asseoir cette domination, ne pas perpétuer des situations de domination, ça me paraît évident. C’est un équilibre à trouver !
Tu ne qualifies pas ton ouvrage « Kérozène » de roman mais plutôt d’OLNI (Objet Littéraire Non Identifié). Qu’est-ce qui le différencie de la définition traditionnelle du roman ?
C’est juste que le processus d’écriture, pour moi, c’était d’écrire des nouvelles. A mi-chemin de l’écriture du livre, je me suis dit que ce serait intéressant que tous les personnages se retrouvent dans un lieu unique et qu’ils se croisent pour créer des liens entre les nouvelles à la façon d’un livre à sketchs. La trame narrative de chaque personnage est pour moi trop ténue pour que je le qualifie de roman. Après, il y a plein de gens dans la presse ou autre qui s’en sont emparés comme un roman et pour moi, il n’y a aucun problème, chacun le définit comme il veut. Je n’ai pas eu le sentiment d’écrire un roman mais je ne le vois pas non plus comme un recueil de nouvelles. C’est pour ça que j’aime bien dire que c’est un OLNI. « La vraie vie » et « Reste » (qui sort en avril), ce sont des romans !
Pendant la promo de « La vraie vie », tu évitais de parler de l’élément-clé de l’intrigue. En quoi est-ce que ça joue dans la promo et est-ce que ce n’est pas un risque d’en dire le moins possible ?
C’est vraiment juste pour préserver le plaisir de la lecture. J’aime bien en savoir le moins possible quand je lis un roman. Je n’ai pas envie qu’on me divulgue l’élément déclencheur. J’ai écrit cette scène de façon à ce qu’elle soit surprenante. Toute la partie avant ce moment, c’est léger, presque enfantin. On pourrait presque se croire dans un roman jeunesse. Il y a quelque chose de très badin et puis paf, ce truc arrive et j’ai envie que ça soit violent, qu’il y ait un choc par rapport à ça, que les lectrices et les lecteurs ressentent la même surprise que la petite fille quand ça arrive. Pour elle tout va bien, c’est joli même si son univers n’est pas tout rose mais tout va relativement bien et puis il y a cet effet de l’accident qui survient. On a tous vécu un événement qui fait que notre quotidien bascule en une fraction de seconde et l’horreur que ça peut provoquer. Je préfère que les gens rentrent dans le roman avec innocence mais ça devient compliqué avec le retentissement qu’a eu ce bouquin.
Il paraît que tu as écouté du métal pour écrire « La vraie vie ». Quelle importance apporte la musique dans ta façon d’écrire ? En quoi ça l’influence ?
Il y a plusieurs éléments. Le premier, c’est que pour moi écrire revient à faire sauter les barrières sociales. Il faut que j’écrive avec un maximum d’honnêteté. Je me débarrasse du côté lisse un peu bourgeois de « j’essaie de plaire à tout le monde, d’être mignonne, d’être gentille. » Pour moi, écrire c’est ouvrir les cachots, on en a tous, libérer les bestioles qui vivent au fond de nous et les laisser s’exprimer. Et pour moi, le métal a cet effet-là de faire sauter les barrières sociales et de laisser les monstres s’exprimer. Sur l’influence de la musique, il y a quelque chose dans le rythme ; le métal c’est nerveux et donc, quand j’écris ça me pousse, ça me donne une énergie. Je vais puiser l’énergie du métal pour la restituer dans le livre. Il y a un autre effet que je découvre avec le temps et l’expérience, c’est l’effet de transe. J’ai une playlist qui va me servir pour un livre en particulier. Ecrire, c’est se replonger dans un univers, un décor et retrouver cet état-là, ce n’est pas toujours facile parce qu’on est pris par notre quotidien et nos problèmes. Stephen King dit qu’il faut traverser la page, passer de l’autre côté du miroir. Il y a quelque chose de l’ordre de la transe là-dedans et je trouve que la musique aide à ça, parce qu’au fur et à mesure que j’écris le livre, je suis de plus en plus conditionnée puisque je n’écris que sur cette musique-là et elle m’évoque les personnages, les décors. C’est des musiques que j’évite d’écouter en dehors de l’écriture pour que vraiment, quand j’écris, ça ait l’effet magique. J’ai fait une playlist plus douce pour mon nouveau roman que j’ai fini d’écrire et quand je la mets, je suis avec mes personnages, dans les décors et c’est assez merveilleux. C’est une aide à l’écriture assez efficace.
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