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Aucklane : « J’ai un cerveau ouvert sur des milliers des choses »

Publié par Antoine le 20 mars 2024

Après un nouveau single sorti en février et une tournée à venir qui passera par Manhay le 25 mai prochain, nous avons rencontré Charlotte Maquet, chanteuse et guitariste à la tête du projet liégeois Aucklane !

Tu viens de sortir un nouveau morceau, Hard to Get au texte quelque peu énigmatique, qui force à l’auto-interprétation finalement, qu’est-ce que tu as voulu raconter à travers ce titre ?

Eh bien je ne te le dirai pas ! (rires) En fait, il s’est passé un truc un peu magique avec Hard To Get. Quand tu écris des morceaux, parfois tu sais très bien ce que tu veux raconter, tu le construis consciemment, tu es en contrôle… et parfois, des phrases entières viennent toutes seules, tu ne sais pas d’où tu sors ça, d’où ça vient, et tu n’as pas vraiment de prises sur ce qui se passe. C’est ce truc d’inspiration un peu magique et inexplicable qui a eu lieu avec ce morceau : on était au studio de mon ingé son Hugo, on terminait une journée de travail, j’ai eu une idée de chanson et on s’est dit qu’on allait directement l’enregistrer. Tout est venu très rapidement et de manière très fluide !  On a enregistré l’instru, quelques lignes de guitares, une batterie et une basse, et j’ai vite fait chanté une ligne mélodique “provisoire”, comme ça me venait, juste pour enregistrer une idée. La moitié de la chanson est sortie, là, comme ça. Je l’ai à peine retravaillée, parce qu’à chaque fois que je voulais changer les mots, ça ne sonnait jamais aussi “juste” que ce qui était sorti spontanément ce soir-là, même si j’ai mis plusieurs mois à comprendre de quoi parlait finalement cette chanson écrite un peu “malgré moi”. Certaines phrases pouvaient faire écho à ma vie, mais d’autres pas vraiment, je ne saisissais pas où la chanson voulait en venir.

Presque un cadavre exquis finalement ?

Oui ! Il me restait à compléter la chanson, écrire les autres couplets en me basant sur l’existant. J’ai fait ça quelques mois plus tard. J’avais donc une piste de départ, ce mot “overrated”, ou le passage “Take something blue, something new, something borrowed” et sa signification, et puis l’énergie que le morceau dégageait : je ressentais quelque chose d’explosif, un peu revanchard, avec un petit côté “va te faire foutre”. J’ai composé avec ça et j’ai essayé de constituer quelque chose de cohérent instinctivement avec des phrases venant de mes carnets et de mon inspiration à ce moment-là. Ce qui a l’air le plus évident, c’est qu’on dirait un date de 2023 où c’est « je t’aime moi non plus », mais j’y vois un tas d’autres interprétations, selon qui parle à qui, y compris un discours à soi-même.  Ça parle de complexité, d’incompréhension, d’engagement, de jugement, de traumas… Finalement, elle est un peu libre d’interprétation, cette chanson, tout le monde peut y puiser ce qui lui correspond.

Quand je réécoute ton premier EP, Nightfall, il y a des ingrédients qu’on retrouve dans Hard To Get justement. Est-ce que tu souhaites poursuivre dans la lignée de cet EP ou doit-on s’attendre à des surprises pour la suite ?

Je pense que l’album sera dans la continuité de l’EP, tout en marquant une évolution. Il sera composé de chansons écrites à différentes périodes de la vie du projet, il y a quatre ans, deux ans, ou l’été dernier… qu’on est en train de retravailler pour en faire un tout cohérent et actualisé. Ce sera dans le même univers que Nightfall, avec des titres plus énergiques et des ballades aussi, mais avec davantage d’arrangements parce que c’est quelque chose que j’ai toujours voulu dans mes chansons. Quand on travaille les pré-productions, j’adore mettre un tas de couches de voix, de claviers, d’orgues et de petits sons, qu’on projette sur bande en live en attendant d’avoir un claviériste supplémentaire. Avec le recul, Nightfall était un peu trop roots à mon goût.

Tu as travaillé en Bretagne avec le producteur Nicolas Quéré qui a déjà un sacré CV derrière lui (Nick Cave, Arctic Monkeys, Jean-Louis Aubert…), comment est née cette collaboration ?

J’ai eu la chance d’être mise en contact avec lui au tout début d’Aucklane, j’avais des amis proches musiciens qui étaient allés enregistrer à la Frette et qui l’avaient rencontré. Quand je cherchais un producteur, on me l’a proposé parce qu’il a déjà travaillé avec d’autres Belges comme Paon, Girls in Hawaii, Noa Moon… Au tout début du projet, il n’était pas disponible mais on avait eu un échange téléphonique absolument charmant et on était restés en contact via les réseaux. Quand il a fallu choisir un producteur pour la suite, j’ai repensé à lui et lui ai envoyé un mail avec les maquettes. Il a trouvé ça vraiment super et il était ravi à l’idée de bosser ensemble donc alléluia !

Et comment ça s’est passé ?

C’était génial ! Il a créé son propre studio en Bretagne qui s’appelle le « studio 1616 » parce que c’est dans une vieille maison et grange qui date de… 1616 ! C’est un studio magnifique avec pierres et poutres apparentes, une belle lumière naturelle et une âme. Donc le lieu était déjà hyper inspirant. Nicolas met les gens très à l’aise, c’est fluide et impressionnant. Il et très posé, ne se prend pas du tout la tête. J’ai adoré le fait qu’il ait pris le temps de plonger dans l’univers et de prendre connaissance de ce que j’avais fait et voulais faire. Le premier jour, on a regardé les textes et il m’a demandé de quoi ça parlait, les différentes interprétations parce que c’était important pour lui que l’essence du morceau soit traduite dans la musique aussi. C’est une approche qui me parle énormément donc j’étais ravie. Avec les mecs (les musiciens du projet, Sébastien Beaumont, Thibault Jungers et Gilles Vermeyen, ndlr), ça s’est super bien passé aussi, super chouette ambiance et c’était la première fois qu’on partait avec Gilles, notre nouveau bassiste, et c’était comme s’il avait toujours été là. C’était aussi très amusant d’écouter raconter ses anecdotes de studio ; il a enregistré avec Nick Cave, Arctic Monkeys… et il te parle d’Alex Turner comme si c’était son voisin et toi t’es là « n’aie pas l’air d’une groupie, n’aie pas l’air d’une groupie ! » (rires) Il nous a donné des anecdotes incroyables aussi sur l’enregistrement de Skeleton Tree de Nick Cave et c’était incroyable d’entendre ça.

Ton projet Aucklane a pas mal mûri et gagné de l’ampleur depuis sa création, comment résumerais-tu ça ?

Je travaille beaucoup ? (rires) Je travaille vraiment beaucoup ! Je ne m’explique pas pourquoi plutôt Aucklane qu’autre chose sachant que je suis perfectionniste et que je vais bosser comme une cinglée jusqu’à me taper dans le rouge, je dois faire attention à ça… J’ai un cerveau ouvert sur des milliers des choses en même temps donc j’essaie de soigner tous les aspects du projet. C’est important pour moi qu’il y ait une identité claire, des photos de qualité, une logique, de la profondeur… Il y a beaucoup à faire et il n’y a qu’une solution pour atteindre un bon niveau : travailler. Je veux faire de mon mieux, même si ça m’amène parfois à me mettre dans le rouge, mais j’apprends à faire attention à ça.

Aucklane, c’est un projet entre rock, blues et indie. Quelles sont tes influences ?

C’est marrant parce que tu es l’un des seuls à toujours pointer le blues, ça m’intrigue beaucoup ! Mais c’est vrai que j’adore tous les trucs un peu americana. Par exemple, Black Rebel Motorcycle Club, Jack White ou encore les Black Keys, ça me parle beaucoup !

Justement, les Black Keys ont énormément d’influences blues !

Oui mais ça ne ressort pas forcément dans Aucklane. Le blues fait partie de tout ce que j’aime vraiment bien avec l’americana, le blues rock, je mets des tambourins dans chacun de mes titres mais je n’ai pas l’impression que ça soit ce qui ressorte le plus donc je suis assez étonnée que tu le pointes. Je trouve ça toujours difficile de répondre à cette question des influences parce que c’est compliqué de mettre le doigt sur ce qui “influence” vraiment ton inspiration parmi tous les trucs différents que tu écoutes. Je cite systématiquement Jack White, Black Rebel Motorcycle Club, Alex Turner et Florence Welch parce que j’ai l’impression que c’est ce qui est le plus flagrant mais ces deux dernières années j’ai aussi écouté en boucle Black Pistols Fire et Black Honey que je ne connaissais pas mais dont je suis devenue assez fan ! Et puis, il y a la touche de Sébastien, mon guitariste qui contribue grandement à l’arrangement de certains morceaux en retravaillant toutes les guitares et les riffs et qui lui est un grand fan de Queens Of The Stone Age par exemple. Ce sont quelques pistes, mais ce qui fait que j’écris une chanson comme ça et pas autrement, ça dépend de ce qui vient !

C’est un peu au feeling alors ?

Complètement, il n’y a rien de conscient ! C’est selon ce que j’entends, ce que j’aime bien.

Des artistes rock et populaires qui s’exportent en Belgique, il y en a très peu, mais encore moins des artistes rock féminines. Comment vois-tu la position des artistes féminines sur cette scène ? Est-ce que c’est un challenge pour toi ?

Ça ne concerne pas que les femmes, et ce n’est pas que l’export, c’est difficile de développer un projet, et un projet rock. La difficulté est déjà locale, sur la Wallonie. Je me rappelle de la grande période du rock belge avec Hollywood Pornstar, Sharko, Girls in Hawaii qui étaient partout sur les affiches. On n’est plus du tout là-dedans. Le rock n’est plus à la mode ? Je pense que le côté « mode » n’est qu’une partie visible de l’iceberg mais qui a tellement de poids sur l’économie et l’industrie musicale que ça joue ! Les programmateurs et propriétaires de salles sont dans une situation inédite où ils ont la corde au cou depuis plusieurs années… Il y a eu le COVID, la crise de l’énergie, si les salles ne sont pas assez subventionnées, elles ne peuvent pas se permettre de faire jouer des artistes émergents qui ne remplissent pas à coup sûr donc elles se tournent vers la sécurité de plus grosses pointures. C’est ce que Konoba dénonçait récemment en parlant des difficultés de la classe moyenne des artistes : soit tu en es à un stade où tu as une grande notoriété et ça va, soit t’as un groupe qui accepte de jouer pour jouer pour 300€ et c’est ok aussi mais si tu es entre les deux, c’est compliqué de toute façon.

Et en tant qu’artiste féminine, tu le sens davantage ? C’est toujours aussi compliqué de se faire une place dans la musique selon toi ?

On est dans une période chelou où j’ai l’impression qu’il faut faire tomber le système pour rebâtir quelque chose de plus sain, forcer le système pour remettre l’équilibre, notamment avec le système des quotas. Même si provisoirement ça génère d’autres dysfonctionnements : les artistes féminines sont parfois diffusées non pas pour leur travail, mais parce que ce sont des femmes, pour remplir les quotas. En interview, on me demande tout le temps quelle est la place de la femme dans la musique. Toute cette partie de l’interview, un homme ne l’a pas et c’est du temps qu’il gagne pour parler de son travail alors que toi, on t’interroge sur le fait que tu fais partie de l’autre moitié de la population. On est à un drôle de moment. Les artistes féminines te diront qu’elles veulent être diffusées pour leur travail, pas parce que ce sont des femmes mais j’ai l’impression qu’on doit d’abord forcer ça pour rétablir l’équilibre et peut-être qu’après ce sera plus chill et qu’on pensera autant à booker des femmes que des mecs. Je n’ai pas l’impression d’avoir plus de difficultés que les garçons voire même, certains diront « ouais mais elle est mise en avant parce que c’est une meuf ! » Il n’y a pas beaucoup de groupes de rock belge avec une leadeuse donc c’est complexe. La première fois qu’on m’a interviewée pour Aucklane, on m’a prévenue qu’on allait m’interroger sur la place de la femme dans la musique et je me suis dit : je ne savais pas quoi dire, je n’ai jamais eu de souci, quand j’ai commencé la musique à 17 ans, je me suis dit que j’allais me comporter comme les mecs et que tout allait bien se passer et un proche m’a fait remarquer :  “t’as pas l’impression que c’est révélateur de quelque chose ? Tu t’es dit que tu devais te comporter comme un mec, que tu devais adapter ton comportement au leur pour faire ce que tu fais ! » Et de fait, quand j’ai commencé la musique, je me souviens que je devais fonctionner comme eux sinon j’allais me faire écraser donc c’est rire aux blagues graveleuses, montrer que je peux porter des trucs lourds… Je n’ai pas l’impression d’avoir des problèmes aujourd’hui parce que ça fait quinze ans que je fais de la musique et que je travaille avec des mecs. Ça reste un milieu très masculin, très macho, c’est hyper complexe.

On parle énormément des différences faites entre « petits » et « grands » artistes actuellement, notamment avec les prix des concerts qui flambent et les rémunérations catastrophiques des plateformes de streaming. Qu’est-ce que tu en penses de ton côté ?

J’aimerais ne pas m’inquiéter de l’argent mais je ne peux pas ne pas y penser parce que je suis responsable d’une économie où j’engage plusieurs personnes. Oui, il y a une grosse différence entre les réalités financières des petits et gros artistes, à plein de niveaux. Ce qui est le plus en contact avec ma réalité au quotidien, c’est qu’on manque clairement de moyens pour les artistes en développement qui se professionnalisent. Rien que pour aller faire un concert, donc assurer une rémunération au minimum légal pour chaque musicien, un ingénieur du son, la location et le carburant d’un van pour se déplacer jusqu’au lieu de concert, les taxes… ça représente déjà un montant conséquent ! Tout le monde n’a pas ce montant à mettre pour un groupe en développement, on en revient aux problèmes des petites salles ! Heureusement, il y a des aides, notamment Arts & Vie, la Province de Liège qui complète en cas de concert sur la province… mais comparé à des jeunes groupes pour qui c’est un hobby sur le côté et qui acceptent de jouer pour 300 euros, ça reste un budget ! Et puis dans le genre « serpent qui se mord la queue », quand tu débutes, pour trouver des concerts, tu as besoin d’actualité, et donc d’enregistrer des morceaux… mais pour aller en studio, tu as besoin d’argent et pour avoir de l’argent du dois… faire des concerts. Quand tu es en développement, tu te demandes vraiment ce qu’on attend de toi.

Bien entendu, vu que tu viens de sortir un nouveau morceau, la question se pose : comment s’annonce 2024 pour toi ?

J’ai toujours un peu peur de répondre à cette question parce que les plans changent tout le temps, que ça dépende de ma volonté ou non. Il y aura d’autres singles et, inch’allah, un album en septembre ! (rires) Je me réjouis de remonter sur scène et de découvrir ce que l’avenir nous réserve !

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