La Musique royale des Guides
Retour en images sur le 13ème concert caritatif de l’Orchestre militaire des Guides de Belgiq...
Hervé Guerrisi et Grégory Carnoli étaient en pleine tournée avec leur excellent spectacle L.U.C.A. (diffusé la saison dernière à la MCFA dans le cadre du projet Mosaïques : cultures et migrations) lorsque le premier confinement est arrivé. Dans ce spectacle, les deux comédiens abordent les questions d’identité, de racisme tout en cherchant à savoir si nous ne sommes pas toutes et tous cousin.e.s. Est-ce que ces thématiques ne seront pas encore plus parlantes à l’avenir ? Sommes-nous tous égaux face au monde actuel ? Où en est la culture ? Nous avons parlé de tout ça avec eux dans une interview riche et fascinante.
Comment allez-vous en ce moment ?
Hervé : J’ai froid ! (rires)
Gregory : Normalement. C’est une sensation de salle d’attente.
Hervé : Une sensation d’être dans les starting-blocks, c’est un peu frustrant parce qu’on a envie d’y aller mais on ne peut pas, on tourne en rond. On se trouve de nouvelles passions.
Vous étiez en tournée au moment de l’annonce du confinement. Comment avez-vous vécu ça ?
Hervé : C’est marrant j’ai déjà oublié à moitié, j’ai l’impression d’avoir gommé ça de ma mémoire… La sensation que j’ai eue au premier confinement c’était que c’était de la science-fiction, que c’était incroyable mais comme toutes les choses nouvelles, je trouvais que ça avait un petit côté fascinant. On se serait crus dans un film à se demander ce qu’il se passait. J’étais plutôt dans l’incompréhension. Je n’y croyais pas.
Grégory : Moi j’étais fâché parce qu’on ne nous demandait pas notre avis avant de prendre des décisions. On était dans un moment de latence au premier confinement donc on ne s’est pas arrêtés subitement mais la deuxième fois on était en train de jouer à Charleroi et on était quasiment les seuls parce que c’étaient les bourgmestres qui décidaient si on pouvait jouer ou pas alors que dans tout le reste de la Belgique c’était arrêté. Ça n’avait pas beaucoup de sens de jouer dans ces conditions, on se demandait pourquoi on faisait ça ! Les gens étaient là mais ils avaient des masques, ils étaient stressés. C’est un art où tu partages des choses et là c’était vraiment compliqué de le faire.
Du coup vous avez expérimenté les spectacles avec les masques. Comment vous l’avez vécu ?
Hervé : La première fois qu’on a joué dans ces conditions, c’était à Boitsfort et j’appréhendais vraiment ce moment, je me demandais comment ça allait se passer. Je pense que ce n’est pas le masque qui a posé problème, ce sont les distances parce que sans vouloir utiliser des termes ésotériques, c’est un peu comme une communion ce qui se passe dans le théâtre ; ce sont des gens qui regardent ensemble et qui se questionnent entre humains. Et généralement, il y a la catharsis qui opère à travers l’expérience socio-culturelle. Quand tu as ton voisin à 2 mètres, que tu vois comme un danger et que toi, tu es potentiellement un danger également, eh bien tout le monde est une menace pour tout le monde et dans ce contexte-là, l’expérience sociale et humaine a beaucoup moins lieu.
Grégory : Tu sentais que l’énergie ne voyageait pas d’un spectateur à l’autre, il y avait vraiment l’effet bulle, ce n’était plus cet effet de 300 personnes qui n’en font qu’une. C’était assez triste, il y avait des périodes du spectacle où j’étais un peu en dehors. Je regardais la salle en me disant « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? » Tu te poses des questions sur ce que c’est encore que de faire du théâtre.
Hervé : Pendant le premier confinement, on a essayé aussi, à la demande des théâtres parce que chacun essaie de s’adapter, de remplacer les prestations par une présence en ligne avec des sortes de conférences, d’entretiens, d’extraits annexes au spectacle… On a essayé de faire une espèce de salon convivial en ligne, ce qui est déjà complètement paradoxal. On a partagé des documents avec des gens, des interviews… et tout le monde avait pris un verre pour trinquer. Mais finalement je sortais de ça très triste et parfois très fâché en me disant « mais pourquoi j’accepte ça ? » Ce n’est pas mon métier, ce n’est pas ça que je fais ! Je fais du théâtre pour être devant des gens et sentir l’humain et là, on est tous devant un écran ! Ça souligne encore plus notre solitude qui est presque partagée parce qu’on voit tout le monde avec son verre tout seul et c’est d’une tristesse phénoménale. L’humain s’adapte tout le temps, c’est aussi ce qui fait la migration et ce qui fait que t’es là ! C’est la richesse et le danger de notre espèce.
On voit surtout dans la musique que certains artistes font des captations live payantes. Est-ce que vous pourriez finir par le faire également ?
Hervé : Ce n’est pas dans nos intentions.
Grégory : Dans ce cas je fais du cinéma alors…
Hervé : C’est ce qu’on avait essayé de faire mais c’est un métier ! On a voulu changer le médium, se dire « bon, on n’a plus de théâtre mais on a l’écran, qu’est-ce qu’on peut faire ? » mais comme dit Greg, à ce moment-là on fait du cinéma, des courts-métrages…
Grégory : On ne ferait pas de captation live.
Hervé : Il y a des gens qui sont capables de le faire ! J’ai suivi un comédien français avec qui j’ai joué et lui, il a fait sa pièce en direct sur Zoom ! Ça avait l’air de donner pas mal.
Grégory : Idéologiquement c’est par principe que je suis réfractaire à ça dans le sens où je me dis que si on accepte de s’adapter vers ça, on va nous dire « vous voyez, vous pouvez créer de nouvelles choses ! » et je n’ai pas envie que les gens ne se déplacent plus dans un théâtre pour se rencontrer. Dans l’absolu, la priorité est dans l’échange, elle n’est pas dans le fait qu’on me voit ou non faire mon spectacle, j’en ai rien à caler ! Si je fais ce travail et que c’est ma passion, c’est parce je vois et rencontre des gens. Après avoir essayé de vider mes tripes, je peux rencontrer les gens dans un bar et parler avec eux. Je ne fais pas ça pour qu’on me dise « bravo, tu joues bien », je m’en fous.
Grégory : C’est dingue que ce soit le contact humain qui, aujourd’hui, est devenu la résistance.
Est-ce que vous n’avez pas l’impression qu’après cette crise sanitaire votre spectacle aura encore plus d’impact ?
Hervé : Les thèmes qu’on traite, et notamment la recherche d’identité, la création d’identité aussi par exclusion ainsi que le racisme ordinaire dont on est tous victimes quotidiennement, sont passés au second plan, comme tout ! Il s’est passé quelque chose dans le traitement de l’information avec le virus qui est problématique : ça a effacé complètement de la carte de l’information toutes les autres thématiques. Et du coup, quand on a repris la tournée en septembre, on venait parler d’autre chose au public. Pour la première fois depuis des mois, on venait leur dire qu’il y avait un problème aux frontières de l’Europe et même à l’intérieur avec cette espèce de racisme latent, presque accepté en fait. On entend beaucoup parler de la colonisation des esprits et de la décolonisation de l’imaginaire et en réfléchissant à ce que ça veut dire, on se rend compte que nos imaginaires, nos habitudes sont complètement coloniales. Et parler de ça sur une scène de théâtre alors que la seule préoccupation des gens qui sont là n’a été que le virus, les règles de sécurité, le masque… pendant des mois, ça nous a fait nous demander si ça allait les intéresser et en fait oui parce qu’ils sont dans la salles, eux aussi ils n’en peuvent plus ! Ils font le chemin jusqu’au théâtre malgré les mesures et ils sont là en nombre (en fonction de ce qui est permis). Du coup, j’ai envie de te répondre que oui mais pas spécialement parce qu’on traite de cette thématique mais plutôt parce qu’ils ont envie d’être là, en résistance, avec le contact humain et la réflexion de l’humain sur lui-même, ce qui est le théâtre. On réfléchit à l’identité, au racisme, au rapport familial… mais des spectacles qui traitent d’alcoolisme ou de problèmes chez les enfants ont aussi leur intérêt. On pouvait penser que les gens auraient peur de revenir mais non, toutes les jauges réduites étaient pleines, c’est le signe qu’il y a une réflexion sur l’être-ensemble.
Grégory : A la reprise, j’avais vraiment l’impression d’interrompre une discussion, de dire « excusez-nous mais on vient avec autre chose, je ne sais pas si ça vous intéresse encore ! » On avait encore un doute et l’impression de venir avec un truc sorti de nulle part. Maintenant, est-ce que ça aura plus de résonnance après ? Je pense que ce qu’on essaie de démontrer dans L.U.C.A., à moins qu’un jour il n’y ait plus de frontières, de barrières, comme dans Imagine de John Lennon, ça vaudra toujours la peine de le faire car il y aura toujours de gens à convaincre, des humanités plus grandes à construire.
Comment voyez-vous le statut d’artiste aujourd’hui en Belgique ?
Grégory : Je pense que ce n’est pas un statut… On donne un statut d’artiste pour dire quelque chose mais c’est juste un chômage, on est des demandeurs d’emploi permanents. Il y a un problème d’appellation, pour moi ça devrait être des caisses pour la culture et l’argent devrait sortir pour que les artistes soient reconnus en tant que tels. Ça ne devrait pas être dans des caisses de chômage parce que je trouve ça honteux pour les gens qui travaillent non-stop, déjà qu’ils sont sous-payés voire pas du tout quand on leur dit qu’ils seront payés plus tard. Et quand t’as 10-15 ans d’expérience et qu’on te dit que t’es payé avec le statut d’artiste mais qu’en fait ça vient du chômage, c’est honteux.
Hervé : Ce que je voudrais ajouter, c’est que c’est quand même une chance phénoménale qu’on a quand on regarde les pays autour de nous et le reste du monde. Ce truc n’existe presque nulle part ailleurs et avec les mois qu’on vient de traverser, nous qui l’avions obtenu il y a 10-15 ans, ça nous a permis de survivre ! Je vois beaucoup de gens en Belgique qui ne l’ont pas et qui essaient de l’avoir et c’est hyper trash. J’ai toujours une espèce de rapport ambivalent au statut d’artiste parce que d’un côté je me sens hyper chanceux, ça permet de se focaliser sur la création, de se dire qu’on n’a pas tout le temps des contrats mais qu’on est soutenu d’une autre manière parce que même si on est en train d’écrire on peut se dire qu’on touchera ce statut. Par contre, je sais que le risque de ce statut c’est d’endormir la créativité et la mise au travail. C’est le danger et il faut lutter contre ça en permanence ; je sais que je pourrais « ne rien faire » (écrire, lire, contempler…) et cette contemplation fait partie de l’artiste, c’est très difficile à faire comprendre aux gens d’ailleurs, et c’est permis grâce à ce statut.
Grégory : Moi je vois ça comme une locomotive, c’est-à-dire que ça doit servir de modèle aux autres pour tirer le train des pays où les artistes sont mal traités. Plus cette locomotive est efficace, plus on peut l’admirer et donner envie aux autres de se battre pour avoir la même. Maintenant, encore plus que tout, si je pouvais renoncer à mon statut d’artiste pour qu’on ait tous un revenu universel (ce qui serait une révolution et un bienfait pour l’humanité) je le ferais ! C’est toujours un risque qu’on ne fasse rien ou qu’on pense qu’on ne fait rien mais concrètement, que celui qui a envie de glander le fasse, ce n’est pas pour ça que j’ai envie qu’il crève dans la rue. Pour moi, c’est vrai que c’était une chance, mais ce n‘est vraiment pas une raison pour ne pas se plaindre. Il ne faut pas regarder que le statut de l’artiste, il faut d’abord regarder le statut de l’humain. Il n’y a pas d’humain qui a plus de mérite qu’un autre à être en vie. C’est bien qu’il y ait ce statut mais il faut l’améliorer et l’étaler à la majorité des gens.
Comment voyez-vous l’avenir de la culture ?
Grégory : Ce n’est même plus une question de l’avenir de la culture… Quand je vois ce qu’il se passe, je pense à l’avenir de la société dans laquelle je vis.
Hervé : Je pense un comme Greg, il n’y a plus personne qui arrive à se projeter, à prévoir quoi que ce soit comme plan au-delà de deux semaines parce que comme les mesures changent et qu’on est pendus à des chiffres qui sortent comme d’un chapeau on ne peut rien planifier. Comme on disait au début, on est toujours un peu dans les starting-blocks, quand on peut jouer PAN on y va ! On vient d’apprendre qu’en France on pourrait rejouer à partir du 15 décembre donc on va y aller et reprendre tout de suite. C’est très difficile de se projeter dans un avenir au sens large et aussi dans un avenir de la culture.
Grégory : Il y a beaucoup de gens autour de moi qui sont en répétitions et qui créent des spectacles. Moi ça me fascine parce que je me demande où ils vont chercher cette énergie d’aller créer des spectacles parce que ça ne se fait pas comme ça et ils ne savent pas quand ils vont jouer, dans quelles conditions ni même s’ils arriveront à diffuser ces spectacles ! Et pourtant, ils sont plein d’énergie avec des choses à dire, l’envie de communier, ils font des captations qu’ils envoient aux théâtres… Ils s’adaptent, c’est un truc de fou ! Avec Hervé, on est en train de réfléchir à un autre spectacle pour dans un ou deux ans mais ce n’était pas dans le futur proche, c’était principalement la tournée de L.U.C.A. donc ça annulait quelque chose déjà créé mais quand je vois tous ces gens qui répètent, c’est comme si tu cuisinais sans savoir qu’on peut prendre ta casserole et la jeter par terre avant que t’aies mis la table. Je trouve ça fou parce que je n’aurais pas la force. Si j’étais en création en ce moment, j’aurais tout arrêté.
Dans L.U.C.A., vous partez de la question « tu viens d’où » mais ma question c’est, dans les prochains mois, vous irez où ?
Hervé : Ça rejoint ta question précédente du coup. C’est quelque chose qui nous anime en ce moment dans les réflexions avec Greg. De la même manière que dans L.U.C.A. on réfléchit au sens très large, on réfléchit vers le futur. Après, concernant l’avenir immédiat, comme je te disais on va repartir en France le 15 décembre, on joue quelques jours à Montpelier puis après c’est la pause des Fêtes. Ensuite on devait reprendre pas mal en Belgique pour ensuite repartir en France jusqu’au mois de mai. On repasse une semaine en Belgique en avril au Théâtre des Martyrs et puis on est dans beaucoup d’endroits dont on ne connaît pas trop la géographie (rires).
Grégory : Pour le moment, les théâtres sont fermés jusqu’au 31 janvier en Belgique donc on recommence logiquement le 1er février à Tournai.
Hervé : Les dates annulées sont reportées donc on est chanceux d’avoir touché les programmateurs à ce point ! Ça nous amène l’année prochaine en automne s’il n’y a pas de huitième vague, de mutation de virus… On a cette chance de pouvoir se projeter hypothétiquement dans une tournée qui va encore durer au moins une ou deux saisons. Derrière, on aimerait arriver avec une autre proposition et on est en train d’essayer de mettre ça en place. On doit se décoincer au niveau de l’imaginaire mais c’est vrai qu’on a été fort à l’arrêt et c’est dur de s’y remettre. Je partage ton émerveillement Greg envers ceux qui continuent à créer dans ce contexte.
Hervé et Grégory repartiront bientôt en tournée et vous pouvez retrouver toutes les dates ici
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