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Rencontre : Yves Barbieux

Publié par Antoine le 1 décembre 2020
Yves Barbieux est un réel touche-à-tout ! Compositeur pour Les Déménageurs (Bonjour tout va bien, c’est lui !) ou encore musicien au sein d’Urban Trad (avec qui il a terminé deuxième de l’Eurovision tout de même !), il fait de sa passion pour la musique son métier avec des projets plein la tête malgré un secteur culturel à l’arrêt. On en parle avec lui dans cette interview ! Comment vas-tu en ce moment ? Paradoxalement, si je prends mon cas personnel, je vais très bien ! Je ne suis pas quelqu’un de très extraverti à la base donc rester à la maison ne me pose pas de problème, j’ai toujours de quoi faire. Maintenant, quand je prends plus globalement, c’est toujours plus difficile parce que ce qui se passe m’inquiète très fort, l’état du monde culturel est assez déprimant donc je croise les doigts pour que ça se résolve assez rapidement. Comment as-tu vécu le premier confinement et comment vis-tu le second qui est tombé comme un coup de massue ? Personnellement je vois ça comme des opportunités. J’en ai profité pour composer des morceaux et lancer un projet seul où je me suis filmé et enregistré dans mon studio donc j’ai passé beaucoup de temps à ça. Et pour le deuxième, je me suis lancé comme défi de perfectionner un programme de montage, d’étalonnage et d’animation en vidéo, ce que je faisais déjà beaucoup mais là je suis vraiment en train de peaufiner tout ça donc je passe beaucoup de temps à apprendre. On a aussi été en quarantaine donc là ça a été un peu plus compliqué, on était en famille à la maison mais je trouve toujours de quoi faire, ça ne me manque pas ! Tu disais en juin dernier être très pessimiste sur l’avenir de la terre. Comment a évolué ton point en presque 6 mois avec tous ces événements, si toutefois il a évolué ? Ah non, il a été confirmé ! C’est super difficile mais je crois que j’ai confiance en l’être humain et qu’il y a beaucoup de gens qui sont bien mais en même temps, quand on voit les résultats des élections en Amérique, au Brésil et ce qu’il se passe en ce moment en France et, il ne faut pas être naïf, chez nous aussi, on a l’impression qu’on a toujours un papa au-dessus de nous ou des parents mais en ce qui concerne la politique je ne suis pas du tout convaincu de ça ! On est dans un système qui est un rouleau-compresseur économique et si on touche à quelque chose on aura toujours de levées de boucliers. Quand je vois ce qu’il se passe avec le covid par rapport à la crise climatique, je crois que cette dernière va s’installer petit à petit, on ne sait pas quand, mais ce qui me choque c’est vraiment le déni de science. On pourrait se dire « à quoi bon envoyer nos enfants à l’école pour qu’ils deviennent biologistes, chimistes ou tous ces métiers » si au final on ne les écoute pas. Donc je reste très, très pessimiste.
Pic by Virginie de Lutis
Tu travailles dans le milieu musical, notamment avec les Déménageurs qui devaient se produire à la MCFA en novembre dernier, comment vois-tu l’état actuel de ce secteur et comment envisages-tu l’avenir ? L’avenir, c’est compliqué parce que déjà avant le covid ce n‘était pas joyeux, joyeux pour la musique. Quand on dit qu’il faut se réinventer, on peut le faire mais c’est toujours dans le cadre de ce qu’il se passe. Avec Les Déménageurs, il y a une période à laquelle on avait vendu jusqu’à 15 000 albums, il y a peut-être 10-15 ans. Avec celui qu’on vient de sortir, certains l’avaient peut-être déjà vu que c’est une réédition mais on en a vendus 1300. Alors on me dit « oui mais il y a Spotify » et pour être honnête, Spotify moi ça me permet de passer une semaine de vacances à la mer et c’est tout ! Donc tout ce qui est digital est en train d’écraser le culturel parce qu’il n’y a pas que la musique, il y a aussi les photographes par exemple. En plus, les gens sont habitués à avoir tout gratuitement donc ça devient très compliqué. Maintenant, c’est vrai qu’on a toujours la scène et j’espère qu’on va reprendre parce que c’est à la fois financièrement important pour nous mais aussi, avoir les retours des gens, voir les étoiles qui brillent dans les yeux des familles, pour nous, c’est incommensurable. Maintenant l’avenir… Ce n’est pas du tout vendeur pour un politicien de dire « on va taxer Spotify davantage et lever une taxe pour que les artistes dont vous utilisez les morceaux gagnent plus », les gens n’ont pas envie de payer plus de taxes. C’est le cas dans la musique comme c’est le cas dans beaucoup de secteurs donc je crois qu’il vaut mieux être solidaires de tous les gens qui ne gagnent pas leur vie plutôt que de tirer la couverture vers soi. Certains artistes disent avoir eu du temps pour créer, composer, se poser… Est-ce que la crise sanitaire a quand même apporté quelque chose de bénéfique dans ta création ? Oui parce que j’ai enfin osé lancer un projet à mon nom ! J’ai souvent porté beaucoup de choses mais autant avec Urban Trad, à l’époque, c’était un nom de groupe et avec Les Déménageurs aussi même si c’est moi qui ai créé tout ça. Et là je me suis dit que j’étais chez moi pendant je ne sais pas combien de temps tout seul dans mon studio donc j’ai acheté quelques nouveaux instruments dont je jouais un petit peu et puis j’ai essayé de voir ce que je pouvais faire tout seul. C’est pour ça que j’ai publié quatre vidéos. C’était une expérience au niveau de la captation, du montage… Et c’étaient des morceaux que je voulais feel good donc vraiment de la musique qui fait du bien alors pour ça, ça a été bénéfique oui. Comment on se sent lorsqu’on apprend que son métier est considéré comme non-essentiel ? Ce sont des labels qu’on met parce qu’on sait bien que pour beaucoup de gens ça l’est. Si on demandait aux gens de ne plus écouter de musique, de ne plus lire de livres… on verrait bien que ce sont des métiers essentiels ! Maintenant je comprends très bien, on peut vivre sans tout ça mais pas sans aller faire ses courses. On pourrait vivre en allant dans les magasins et acheter une sorte de lait, une sorte de farine et voilà on peut survivre mais je crois qu’on n’est pas faits pour ça, il y a plus dans la vie que la survie. Je trouve qu’on est aussi essentiels que de la nourriture sauf si on prend le point de vue biologique uniquement. Quel est ton point de vue concernant le statut d’artiste aujourd’hui en Belgique ? Je crois que c’est en train de changer même si je ne suis pas ça de très près mais je pense que c’est important parce que je pense que les gens ne se rendent pas compte si on prend ça très platement quand les gens vous disent « qu’est-ce que vous cherchez comme travail ? » en plus des Déménageurs par exemple. Parce que ça arrive, le chômage est là pour nous permettre de créer, de répéter. Imaginez Les Déménageurs avec six personnes qui doivent tous faire un autre boulot, qu’on ne puisse plus répéter et qu’un concert sur deux on change d’équipe, c’est perdre en qualité. Je pense que le statut d’artiste, ça doit permettre la qualité, une culture dont les gens pourront être fiers et se dire « je vais voir un spectacle et j’ai Les Déménageurs, un bon spectacle avec des techniciens qui connaissent le spectacle par cœur », c’est à ça que sert ce statut.
Pic by Yves Barbieux
Est-ce que tu voudrais voir des choses plus précises mises en place par rapport à ce statut ? Est-ce que toi tu l’as ? Non, j’ai la chance d’être engagé avec un temps partiel ici parce qu’avec Les Déménageurs, on est très connus mais on n’est pas aussi riches que les gens ne pourraient l’imaginer. Il y a déjà le fait qu’on vende beaucoup moins de disques qu’avant et puis, en concert, on pratique des prix raisonnables par rapport au succès parce qu’on pourrait remplir quatre fois une salle de 600 places à Bruxelles ou à d’autres endroits mais on a mis un point d’honneur à ce que le cachet, quand on va jouer dans un centre culturel ou quand on organise nous-mêmes les concerts, reste démocratique. On gagne notre vie correctement, on a beaucoup de chance par rapport à plein de monde. Par rapport aux mesures, je trouve que ce serait bien qu’il y ait plus de fierté de la part des pouvoirs publics. On a souvent cette sensation d’être abandonné parce qu’il y a ce côté « Les Déménageurs n’ont pas besoin de nous. » Si on regarde en Flandre, il y a des artistes qui sont subventionnés parce qu’on est fier d’eux, de leur parcours et qu’on a envie de les exporter. Nous, on se sent souvent abandonnés par ces pouvoirs. Avec Les Déménageurs, vous n’avez pas peur des éventuels embouteillages lors de la reprise des concerts dans les salles ? On a de la chance dans les concerts « jeune public » belges d’être dans les têtes d’affiche ! C’est clair que quand on nous dit que nos concerts sont reportés, c’est bien, mais c’est maintenant qu’on doit payer nos loyers. Les reports sont un manque de revenus. Il y aura clairement un embouteillage mais je pense que ce sera plus un trou d’une année qu’un report. On a de la chance parce qu’on garde les dates annulées, elles auront juste lieu plus tard. On aurait de toute façon eu des dates l’année prochaine donc ce sont juste des dates qu’on perd. C’est une année blanche. Quelle est la suite de tes projets que ce soit toi tout seul, avec Les Déménageurs… ? On devait mettre en place les 20 ans des Déménageurs donc ce sera avec un petit peu de retard mais on voulait faire une belle tournée pour fêter ça parce que ça fait maintenant 22 ans ou même un peu plus que j’ai écrit « Bonjour tout va bien ». C’est une très belle histoire musicale mais aussi humaine parce que c’est un groupe qui me fascine toujours aussi sur la qualité humaine ; je crois qu’il y a eu trois engueulades sur vingt ans, c’est très peu ! Il y a des qualités humaines qui font qu’on arrive à toujours résoudre les problèmes donc je serai très fier de fêter ces 20 ans. Je réfléchis encore à savoir si je vais monter sur scène avec eux ou pas parce que j’ai arrêté de faire ça. Je suis aussi en train de lancer un projet à partir des morceaux dont je te parlais tout à l’heure avec Steve Louvat au banjo et Jonathan De Neck qui est accordéoniste. Je bricole un peu à l’accordéon aussi mais ce sont deux personnes de qualité avec qui j’ai envie de passer du temps. Là on pense mettre en place un projet un petit peu humoristique avec des écrans derrière et avec des clones de nous donc l’idée serait d’être six musiciens en étant seulement trois sur scène, c’est encore en réflexion. Je fais aussi beaucoup de vidéo, on est en train de développer l’aide à présenter les projets des gens en vidéo. C’est vraiment l’idée de les aider qui m’intéresse, de raconter leurs histoires d’une manière qui touche leur audience et aussi leurs valeurs.
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