BelleS comme le jour, comme la nuit, comme l’amour
Jeudi soir, rue des Carmes. Devant le Studio, un attroupement. Ça papote, rit, s’interpelle, cour...
A quelques jours de son concert du 3 février à la MCFA, nous avons rencontré Didier Laloy pour évoquer son rêve d’enfance, ses futurs projets et les anecdotes qui ont jonché ses trente riches années de carrière !
Tu vas fêter tes 30 ans de carrière avec un orchestre symphonique. Comment est née cette idée ?
C’est un vieux rêve d’enfant ! J’ai commencé la musique dans une famille où il était bon ton d’en jouer. J’étais inscrit au piano classique en solfège à huit ans, mais j’étais très mauvais et les professeurs estimaient que je n’étais pas fait pour la musique, que je m’étais trompé. J’ai arrêté puis 3-4 ans plus tard, j’ai « rencontré » l’accordéon diatonique. J’ai fait toute ma carrière sans savoir lire une note de musique et j’ai eu la chance de travailler avec plein de musiciens extraordinaires dans des styles différents mais sans jamais pouvoir aborder la musique classique donc, sans rencontrer ce rêve de jouer avec un orchestre classique comme ceux que je voyais à la télévision ! C’est ce qui m’impressionnait le plus mais c’était inaccessible. Je disais souvent pour rire que je rêvais d’un jour serrer la main d’un premier violon et d’un chef d’orchestre sur scène. C’est mon manager, qui était en tournée à La Havane, qui en a parlé à une maison de disques à l’occasion de mes trente ans de carrière. Ils se sont dit qu’ils allaient réaliser ce rêve, c’était un super cadeau ! Après, il a fallu trouver des arrangeurs parce qu’on a dû chercher des morceaux dans mon répertoire qui soient « réorchestrables » pour un orchestre symphonique. C’est Gwenaëlle Grisi et Jean-Luc Fafchamps qui se sont mis au travail pour faire ces arrangements extraordinaires et transformer mes petits prétextes à musique comme je dis en œuvres cinématographiques.
Travailler avec un orchestre, ça veut aussi dire réarranger ses morceaux d’une certaine manière. Comment s’est passée cette partie du travail ?
Jean-Luc et Gwenaëlle faisaient des allers-retours en fait. Ils avaient carte blanche, j’avais choisi une trentaine de morceaux qui me semblaient orchestrables et eux ont été en recibler quelques-uns puisqu’on joue une quinzaine de morceaux en tout. Ils m’ont fait des propositions mais je trouvais parfois que c’était trop « joli » alors que dans mon univers, il y a toujours quelque chose qui « grince » donc je leur demandais parfois de rajouter des petites surprises « grinçantes ». Il faut que la musique parle à la fois à la belle-maman mais j’ai aussi mon côté angoissé et rock en-dessous donc il faut aussi que ça parle à cette partie du public qui aime les choses un peu plus dures.
L’accordéon est un instrument dont on parle finalement assez peu et qui peut avoir une image un peu ancienne aux yeux de certaines personnes. Comment faire pour le mettre en avant et lui garder une image moderne ?
Je ne me suis jamais posé cette question. J’ai reçu cet accordéon dans les mains un peu par hasard quand j’avais 13 ans et je suis tombé amoureux de l’instrument. Est-ce que c’était celui de la personne qui en jouait ? Je ne le sais toujours pas d’ailleurs ! Toujours est-il que j’ai l’impression de raconter des histoires avec cet instrument que j’ai dans les mains mais je me sens plus guitariste électrique par moments dans certains groupes. C’est un vecteur d’histoires en fait ! C’est un accordéon diatonique et il a en effet une image poussiéreuse et ringarde, parfois j’ai encore un peu honte quand les gens ne me connaissent pas du tout et me demandent mon métier ! Je leur dis que je suis musicien, ils trouvent ça super. Je dis que je joue de l’accordéon, « ah, bon… » (rires). Il faut voir vivre l’instrument pour l’apprécier à sa juste valeur et voir tout ce qu’il peut offrir comme palette sonore. Je trouve que ça a une amplitude énorme et on peut le retrouver dans plein de styles différents. Je ne me sens pas porte-étendard d’un instrument, il se trouve que je raconte mes histoires, parfois dans des choses pointues avec des musiciens un peu plus dans le monde du jazz, des musiques traditionnelles où c’est plus rugueux. J’ai aussi eu la chance d’aller à l’Eurovision avec Urban Trad, Marka… des choses beaucoup plus légères et solaires. J’ai commencé cet instrument dans les années 80-90 et arrivé aux années 2000, c’était le pic des musiques du monde et dans toutes les salles de Belgique et d’ailleurs il y avait des concerts de musique du monde puis ce renouveau a commencé à disparaître. Je suis un des derniers dinosaures à encore avoir la chance d’être invité dans des salles musicales. Je pense que si je suis encore là aujourd’hui, c’est parce que je ne me suis pas resté dans ce style uniquement même si ce sont mes racines que j’adore. J’ai partagé cet instrument avec parfois de la danse hip-hop, du théâtre et plein de choses différentes. Je pense que la plupart des gens qui viennent me voir ne viennent pas voir un accordéoniste. Ils viennent écouter l’univers que nous avons construit ensemble parce que même si c’est mon nom qui est écrit en grand sur l’affiche, c’est un univers que j’ai réalisé avec plein de gens.
Quand on écoute tes morceaux, on sent que tu t’inspires de tes voyages pour y puiser l’inspiration, comme c’était le cas avec Duplex par exemple. C’est important pour toi d’aller chercher de nouveaux sons ailleurs ?
C’est l’humain qui me nourrit. Donc plus que les voyages, ce sont les musiciens que j’ai rencontrés, que ça soit ici ou à l’étranger. Hier, j’ai rencontré un joueur de oud marocain donc je suis sûr que dans une prochaine composition il y aura un peu de ces saveurs qui auront été imprégnées dans mon cerveau et dans ce que j’ai envie de retranscrire. C’est la rencontre humaine qui me guide, l’échange.
Je parle de Duplex, tu as aussi d’autres projets, comment fais-tu pour choisir telle ou telle influence selon les groupes ou artistes avec qui tu joues ?
J’en reviens à l’humain. Pour Duplex il y a cette rencontre incroyable avec le violoniste Damien Chierici qui m’a emmené dans une direction plus électro, plus pop. C’est presque une histoire d’amour même si on ne sortira jamais ensemble (rires) mais c’est une espèce de nouvelle histoire pour moi. Je fais un bout de chemin avec lui, dans Duplex mais aussi dans d’autres projets comme Yule ou OOTOKO par exemple. Ce sont à chaque fois des rencontres humaines et l’envie d’aller titiller l’univers de l’autre. On m’a demandé ce que je pouvais encore présenter après mon projet symphonique qui est quand même énorme et si je n’avais pas l’impression d’être arrivé au bout d’une histoire. Ça m’a un peu interpellé et je vois que mes enfants commencent à faire de la musique et à évoluer et j’ai beaucoup de plaisir à les guider, les conseiller et parfois à jouer avec eux. Donc je me demande si d’ici quelques temps il n’y aura pas un projet avec un de mes enfants, ou en tout cas avec la nouvelle génération qui m’inspire très fort.
Est-ce que ce ne serait pas du coup l’occasion de passer de l’autre côté de la régie pour produire des artistes ?
C’est ce que j’ai fait avec ma fille. J’étais pré-producteur en amont du travail. J’ai eu beaucoup de plaisir et sur son album, il n’y a presque pas d’accordéon ! Ça m’a fait plaisir de devoir réfléchir à l’univers de quelqu’un d’autre sans mon instrument de prédilection qu’est justement l’accordéon parce que comme tu le disais tantôt, il a une image connotée, il apporte des choses extraordinaires mais parfois, il a cette image poussiéreuse qui n’est pas bien pour pousser ma fille qui a 20 ans d’avance pour le moment.
On le disait en début d’interview, tu fêtes tes trente ans de carrière. Quelle est ton anecdote la plus marquante dans ta carrière ?
Une, je ne sais pas… Bien sûr, l’aventure Urban Trad à l’Eurovision en 2003 a été très marquante ! On finit deuxièmes en partant comme un groupe normal avec nos pulls et nos vieux instruments ringards et on est accueillis comme des joueurs de foot à Zaventem avec toutes les télés belges qui sont là, on a été accueillis par le Roi. On a fait le tour de toutes les institutions en limousine ! On a été des espèces de petites vedettes pendant deux mois puis POUF c’était fini. Si on avait été flamands ça aurait été différent parce qu’ils sont beaucoup plus chauvins. C’est magnifique parce que ça remet les choses en place, ça nous a permis de recréer plutôt que de nous reposer sur nos lauriers. Ça m’a ouvert plein de portes même si, à l’Eurovision depuis cette époque-là, les musiciens jouent en play-back et les chanteurs sont en live donc Universal me dit « tu bouges bien sur scène, va avec eux ! » Sauf que je ne joue pas sur ce morceau ! Ils me disent que ce n’est pas grave donc j’ai fait l’Eurovision non seulement en play-back mais en plus sans aucune note d’accordéon sur la bande son. Donc je fais semblant de jouer d’un instrument qui n’existe pas, j’ai fait du « air-accordéon », je suis revenu en Belgique et j’ai eu plein de contrats grâce à ça ! Je suis devenu ce jour-là un grand musicien même aux yeux de ma famille. J’étais invité à la RTBF pour parler de mon album et on me disait que c’était incroyable, que je jouais magnifiquement bien et que j’avais une prestance incroyable alors que ça part de rien !
Tu as un jeu de jambes incroyable sur scène en effet ! C’est assez marquant donc on peut comprendre l’intérêt qu’il a suscité…
Eh bien il a fait une partie de ma carrière ce jeu de jambes… Les gens ne vont pas écouter un concert, ils vont le voir. Ça m’a marqué, un jour, un ami me dit « Je vais voir Johnny au Stade de France » donc il n’allait pas l’écouter, il allait le voir. L’aspect visuel est super important. Je n’ai pas dû le travailler, j’ai eu la chance que ce soit inné chez moi mais je sais qu’il y a des musiciens extraordinaires mais qui sont hyper introvertis sur scène et qui jouent entre eux. J’ai un certain public grâce à ce côté personnage visuel sur scène.
Quand tu crées ta musique, tu penses à sa vie en live avant même de penser à la tournée ou est-ce que ça vient naturellement ?
C’est une très bonne question… Quand on est jeune musicien, on compose dans l’absolu en se disant que c’est une musique magnifique que l’on va pouvoir proposer à des lieux culturels et en grandissant, on se rend compte qu’il y a un marché de la musique, que c’est un commerce. Donc maintenant, quand j’imagine un spectacle, il doit répondre à plusieurs critères. Ça doit me plaire artistiquement et ça doit aussi répondre à une envie des acheteurs, des programmateurs. Je dois créer un spectacle qui doit intéresser un public et donc des acheteurs. Je pense à ça en amont avant de me dire « Super, je vais jouer avec ce flûtiste indien ! » parce qu’aussi bon soit ce flûtiste, il va sans doute être trop pointu pour le public. Je dois d’abord penser à l’emballage pour qu’il rentre dans cet univers. Je me souviens de [Pô-Z], un spectacle que j’avais créé, qui était une musique qui n’était pas facile. Je me suis demandé comment la rendre accessible et j’aime beaucoup le cirque donc on avait ajouté des circassiens et c’était d’un coup devenu un spectacle de cirque magnifique avec une musique plus difficile que les gens « oubliaient » parce qu’il y avait de la magie tout autour.
Quels sont tes projets à venir pour les trente années qui arrivent ?
J’y ai un peu répondu tout à l’heure, la jeunesse m’inspire fort ! J’ai eu la grande chance, quand j’étais jeune, d’avoir été repéré par un grand musicien de jazz appelé Steve Houben. J’avais 16-17 ans et il est venu chercher plein de jeunes pour créer l’ensemble Panta Rhei qui nous a permis de nous lancer dans le métier de manière professionnelle. Je me demande si ce n’est pas ce rôle de passeur que je dois à présent prendre après trente ans de carrière et bientôt cinquante ans de vie ! (rires) Je parlais de cirque aussi, j’ai de nouveau envie de faire un spectacle avec des circassiens donc à suivre…
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Wouaw, ce grand musicien ne lit pas les partoches et pourtant il sort des trucs extraordinaires de son instrument. Quand on le voit avec d’autres musicos, il est en symbiose totale avec eux. Ca doit être cela le talent. Moi qui n’ai jamais osé jouer deux notes en public car je n’y connais rien solfège, ça me donne de l’espoir! Merci Didier d’être toi-même:franc, honnête, humble, accessible et tellement talentueux. A bientôt